Cette année, le voyage de l’Adage nous emmène vers un étrange pays, mystérieux et fascinant: la Mayenne! Nous avons rendez-vous à Entrammes, village de 2200 âmes situé à 12 km au sud de Laval, pour découvrir la coopérative Lait Bio du Maine. C’est dans la boutique de la fromagerie que nous accueille Jean-Yves Bosselet, agriculteur et administrateur de la coop.
Jean-Yves nous passionne en contant l’histoire du groupement. Tout a commencé en 1994: une petite dizaine de producteurs en conversion bio décident de s’organiser en GIE pour collecter leur lait. Le GIE s’étoffe rapidement: en 99, il compte une trentaine de producteurs.
Depuis le début, l’idée est dans l’air: « un jour, il faudra transformer…« . Ce chantier leur semble insaisissable mais l’idée chemine et persiste. A tel point qu’en 2004, les adhérents décident d’embaucher un animateur pour réfléchir à la question. Guillaume Chopin étudie la faisabilité et tâtonne la transformation. Aujourd’hui, il est le directeur commercial de la coopérative.
En effet, en 2009, les agriculteurs décident de se lancer dans l’aventure fromagère et construisent un bâtiment, à deux pas de l’abbaye Notre-Dame du Port de Salut.
Les cisterciens et le Port Salut
Les moines trappistes sont arrivés dans l’abbaye en 1815. Très vite, ils mettent au point le fromage façon Port-du-Salut.
Le procédé trouve des rapprochements avec des fromages de type hollandais mais aussi avec le gruyère. Il faut dire que les moines d’Entrammes sont originaires de La Valsainte… en Suisse. Ils ont aussi un temps trouvé refuge dans le diocèse de Münster.
Les moines paysans de la coop Lait Bio du Maine
Vers les années 1830, la communauté lance la commercialisation des fromages sur les marchés locaux. Pour ce faire, ils augmentent la production laitière par la construction d’une nouvelle étable qui permit de doubler le cheptel. Les moines ont alors un troupeau laitier de 56 vaches. Les ventes de fromage sont en plein essor et la transformation se développe, à tel point qu’en 1902, près de 300 exploitations sont concernées par la collecte de lait des trappistes.
Dans les années 60, la chute des effectifs et la concurrence des industries fromagères amènent les moines à vendre la marque « Port Salut » et les bâtiments de la fromagerie. Aujourd’hui, c’est Bel qui détient la marque et les biens de production ont été transférés. Le Port Salut est désormais produit à base de lait pasteurisé.
A l’automne 2010, les agriculteurs, organisés dorénavant en coopérative, ressuscitent la transformation fromagère à Entrammes. Ils réinventent la recette du Port-Salut en gardant l’esprit originaire: le fromage est fabriqué à partir de lait cru.
Ce lait vivant et nutritif est d’autant plus précieux qu’il est issu d’un cahier des charges draconien. En effet, les paysans se sont imposés des règles monacales: « Les débats ont été assez difficiles, mais finalement, nous nous sommes interdits les conserves humides pour l’alimentation des troupeaux. » nous raconte Jean-Yves.
Pour palier à l’interdiction de l’ensilage et de l’enrubannage, certains agriculteurs ont recours à la déshydratation pour la première fauche. En revanche, très peu d’adhérents ont investi dans un séchoir an grange: 4 sur 40.
Sur les 10 millions de litres de lait collectés par la coopérative, seulement 800 000 L sont transformés. Le reste est ventilé entre différentes laiteries: Triballat, Novandie, Saint-Père, Lactalis…
Jean-Yves Bosselet pense que le lait très fromageable produit par les éleveurs grâce au drastique cahier des charges leur permet de séduire plus facilement les laiteries.
Même si la transformation ne représente même pas 10% du lait produit par les producteurs, la coopérative a créé 12 emplois dont la majorité servent à faire vivre la fromagerie.
Entre la fromagerie et les chauffeurs laitiers, ça commençait à faire trop à gérer pour les administrateurs. Il y a 2 ans, ils ont décidé d’externaliser la flotte de collecte auprès de Loralait. Cet épisode a crée une crise au sein de la coop, qui s’est traduit par le départ de 4 agriculteurs.
Il faut dire que la situation est particulière: même si la fromagerie occupe une grosse partie des énergies du collectif, c’est une activité déficitaire. « On perd pas mal d’argent avec la transfo » nous confie Jean-Yves.
Aujourd’hui, la fromagerie produit 8 produits différents. « On n’a pas une palette assez large, c’est dur de rentrer dans les grandes surfaces« . Les GMS représentent tout de même 80 % des ventes de l’entrammes, mais trouver de nouveaux débouchés s’avère difficile. La coopérative prépare un projet pour diversifier sa gamme, en développant les produits frais et le gouda.
Le déficit de la fromagerie est comblé par la vente de lait aux laiteries. Cela permet finalement d’assurer une rémunération honnête aux adhérents: « Niveau prix, on est pas déconnants » signale Jean-Yves. Le prix moyen final payé au producteur était de 435€/1000L en 2015 et sera de 440€ pour 2016.
La vie du groupement n’est pas un long fleuve tranquille, il y a des divorces, des fâcheries, des débats et des hauts. Il y a surtout beaucoup de travail. Le temps et l’énergie consacrés par les éleveurs pour faire vivre ce projet collectif est impressionnant.
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