L‘ ADAGE est une association d’éleveurs autonomes et économes en agriculture durable. Régulièrement, nous organisons des voyages d’étude afin de découvrir l’univers de nos pairs. Cette fois-ci, nous avons décidé de nous immerger dans le monde de la vigne et du vin.
La Loire scintille sous les rayons blancs du soleil d’hiver. Nous sommes à La Possonnière, sur la rive nord du fleuve, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’Angers. Deux hommes nous attendent dans leur barque amarrée, une toue cabanée, bateau plat traditionnel à proue large. Jadis pierre angulaire du transport fluvial des marchandises, elles servent aujourd’hui pour la pêche et la plaisance traditionnelle. Alex Fagat, guide et pêcheur, a fabriqué sa propre toue. En embarquant, nous découvrons une assiette de rillauds et une caisse de bouteilles. L’amiral lâche les amarres et nous naviguons le long de l’île de Béhuard, vers le pont des lombardières. Sur cette barque, Le pêcheur et le vigneron seront nos passeurs vers une terre inconnue. Bercés par leurs mots et par les verres, nous passons d’un monde à l’autre, de l’élevage à la vigne, du lait au vin.
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Eric Dubois, l’homme qui murmure à l’oreille des vignes
Eric nous parle des profondeurs de sa terre, qui confine aux deux bassins sédimentaires: le massif armoricain et le bassin parisien. Le vignoble de Louis est situé du côté obscur de la faille, dans les replis ligériens du massif armoricain. L’anjou noir est sur une terre beaucoup plus difficile à travailler que les sols calcaires voisins, constitués de sable, de grès et de tuffeau sur lequel le saumur est plus facile à obtenir, et pourtant vendu bien plus cher. Louis évoque ses sols minces de sable limoneux sur son socle schisteux, sur lequel croît son Chenin.. Louis est amoureux de ce cépage, appelé aussi le pinot de La Loire: « ça permet de tout faire, c’est assez rare« . Ce cépage phare du Val de Loire, rustique et précoce, sert en effet à l’élaboration de vins blancs secs comme de vins liquoreux ou effervescents. Lorsqu’il nous parle de sa fascination pour le Chenin, nous apercevons sur la rive la Coulée de Serrand et la Roche aux moines, deux appellations de Savennières, une des communes icônes des chenins sur schiste de la Loire. Eric travaille aussi avec quatre autres cépages: le cabernet franc, le cabernet sauvignon, le gamay et le grolleau.
L’homme aux commandes du vignoble de l’hôpital de Saumur de 1995 à 2016, nous transmet au fil de l’eau sa vision de la culture des vignes et de l’élevage du vin: « La vigne, c’est une liane », c’est en nous rappelant la base que Louis nous parle de ses réflexions par rapport à la taille. « Il faut tailler, mais c’est une agression. Des arboriculteurs nous apportent aujourd’hui leurs savoirs pour réaliser un minimum de plaies« . Il tient également à bien nous faire comprendre la distinction entre souches et racines: « on a longtemps glorifié la vieille souche, mais on s’est trompé. En réalité, il faut glorifier les vieilles racines. Les vieilles souches, c’est comme les bonzaïs, ça vieillit mail, il y a beaucoup de problèmes vasculaires dus à la taille. »
Sur son domaine de la Franchaie de 5.5 hectares, il vit et travaille avec ses chevaux. Comme dans ses vignes, dans son chai, il travaille de la manière la plus naturelle possible: « Le vin, c’est l’élevage de micro-organsimes. C’est vraiment nouveau, le vin nature. Dans toute l’histoire du vin, on n’a jamais fait de vin sans rien mettre dedans. Les Romains mettaient du plomb, de la résine… Aujourd’hui, le souffre résoud tous les problèmes bactériens. Le vin sans sulfites, c’est possible, mais il faut moins de rendement dans les vignes« . Depuis la fin des années 2000, Eric pratique sur certaines cuvées la mise en bouteille sans souffre.
David Landron, fils de la lune et du muscadet
Nous voici rendus dans la capitale du muscadet: Vallet. Nous avons rendez-vous avec un jeune vigneron, David Landron, à la ferme de l’Aufrère, C’est un GAEC tout à fait révélateur de son territoire puisqu’il y a à la fois de la vigne et de l’élevage. Sur les 6000 hectares de la commune: 30% sont en effet dédiés à la vigne et 30% à la polyculture et à l’élevage. A l’Aufrère, en plus des 6.5 hectares de vigne et des 55 mères charolaises, 5 hectares sont cultivés en maraîchage La ferme est assise sur 130 hectares, elle compte trois associés et trois employés. Nous accueillons David à la porte de son chai: il nous avait oublié, il taillait ses vignes. Les yeux cernés -David est un tout jeune papa – il nous dit d’emblée: « J’ai choisi de partir avant la fin de l’année« . ça, c’est dit. Vigneron depuis 2017 mais officiellement installé depuis 2019, David quittera le GAEC mais pas le métier: « je veux retrouver l’équilibre, retrouver une temporalité paysanne; Avec 4 hectares de vigne, une personne arrive à produire les 15000 bouteilles dont il a besoin pour se nourrir et investir« . David est issu d’une longue dynastie de vignerons. Son oncle, Jo Landron, est une des figures majeures des vins biodynamiques en France. « il a 45 hectares, ils sont treize à y travailler. Il commercialise tout par lui-même, il était tout le temps dans l’avion »
Jeune vigneron, David est imprégné par l’histoire de son vignoble: « la vin nantais a connu trois grosses claques.D’abord, Les hollandais ont perdu le pouvoir et les anglais sont allés à La Rochelle« . Les marchands des Provinces Unis, maîtres des mers et du vin au 17ème siècle, furent en effet à l’origine du développement du vignoble dans toute la vallée de la Loire. Ils perdirent le contrôle des mers lors des guerres navales anglo-néerlandaise. David poursuit la liste des fléaux: « Il y a eu le phylloxéra, et enfin l’image de vin de comptoir« . Si les ravages du puceron apparurent dans la seconde moitié du 19ème, l’image de vin bas de gamme est plus récente: « il y a eu les belles années, à partir des années 50, on a oublié le commerce… Ce sont les négociants qui s’en sont occupés« . Les négociants ont grossi, et certains ont tâché l’image du muscadet en cédant à la fraude, en commercialisant de gros volumes de vin blanc indûment présenté comme étant du muscadet. Depuis, les vignerons reconquièrent doucement leur territoires, leur pratique et leur image. « l’AOC nous protège » selon David. Pour le Muscadet, Il y en a 4: le Sèvre et Maine, les Côteaux de la Loire, les Côtes de Grandlieu et le Gros-Plant du pays nantais ». Le cahier des charges AOC garantit le cépage (melon de bourgogne et folle-blanche) et en limitant les rendements, assure une certaine qualité et des débouchés.
David fait partie lui aussi de cette nouvelle vague du muscadet. Il nous parle d’ailleurs des origines de la vigne: « la vigne vient de la forêt. Je veux retrouver l’équilibre entre la vie de la nature, la forêt et la prairie« . Il cultive ses vignes en agriculture biologique et s’aventure sur les terrains du vin naturel. Jusqu’alors, il utilisait déjà très peu de sulfites (20mg/l) et « depuis 2020, je suis prêt pour faire du vin sans aucun sulfites« . David ne filtre pas non plus le vin: « je ne veux pas l’épurer. La filtration retire une belle partie des éléments, le vin se durcit, on perd du soyeux, du rond« .
Le vin nature est peut-être une manière de se rapprocher au plus près de l’expression du vigneron: « Au final, c’est des vins de personne. On fabrique le vin sur des choses qu’on aime. Ce sont des humains, ça reflète le personnage« . Cette incarnation du vin peut déboucher vers certaines dérives pointe David: « Il y a une starification dans le monde du vin naturel« . Starification amplifiée par le phénomène des réseau sociaux. David sort son téléphone de la poche et nous montre l’exemple d’un vigneron habile qui met en scène sur les réseaux sa vigne et ses vins. Il est vu et commenté par un vaste public. Un revendeur a voulu profiter de cette popularité en vendant des bouteilles à 300€ alors que le vigneron les vendait à 12€ hors taxe.Le vigneron a porté plainte.
Finalement, David nous fait goûter les fruits de son labeur. Après l’art de faire du vin, David nous révèle l’art d’en parler: « Origine, c’est un vin issu de côteaux de granit, une pente de 5 à 7% orientée sud-ouest. Il y a seulement 10 cm de terre. Il y a des fonds d’arôme de sel et de citron confit. Une gorgée me donne l’impression d’être sur une terrasse, il y a des embruns, il ne fait ni trop chaud ni trop froid..« .
A la fois lunaire et ancré sur terre grâce aux racines de ses origines, le vigneron nous a livré son vin, son âme et une évidence: « on peut faire du très bon vin partout« .
Xavière Hardy, créatrice biodynamique
Encore enivré par les paroles de la vigne, nous avalons nos casse dalle dans la berlingo qui file plein nord sur la D763 pour honorer notre troisième et dernier rendez-vous. Xavière Hardy nous accueille chez elle, à La Chapelle-Glain, dans le castelbriantais. Elle nous raconte son histoire: « C’est une reconversion professionnelle. Avant, j’avais un cabinet d’étude en environnement. J’ai démarré seul en novembre 97, puis au fil des ans j’ai embauché 6 personnes. Je n’arrêtais jamais, j’avais trop de pression« .
L’idée du changement de vie mûrit… et les ceps s’enracinent dans l’esprit de Xavière « Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire de vigne ici! ». Ici, c’est sur les terres du GAEC du Moulin, ferme à 5 associés dont Thomas et Anaïs, deux enfants de Xavière. Etait aussi associé jusqu’à peu Michel, le mari de Xavière, qui est aujourd’hui un jeune retraité. Le GAEC du Moulin produit du pain, du fromage de brebis, de la viande d’agneau solognote, de la viande de porc, du bœuf, des lentilles et du chanvre. Un des socles du projet de Xavière a reposé sur l’aide de la ferme du Moulin, notamment pour les plantations et les aménagements de la cave.
Pour se former, Xavière a suivi des cours de viticulture au CFFPPA de Vallet: « ça parlait toujours de maladies, de cuivre, de souffre... » Elle va fréquenter la cellule viticole de la coordination agrobiologique des pays de la Loire « une cellule très active« , elle va aussi faire beaucoup de visites, beaucoup lire, et rencontré un mentor: Jacques Carroget, vigneron en biodynamie et en vinification naturelle à Anetz.
« Si je fais de la vigne sans biodynamie, je ne suis plus vigneronne« . Xavière est entré en viticulture par la porte de la biodynamie. « J’y suis tous les 8 – 10 jours… Avant la pleine lune et au périgée, j’y suis tout le temps« . Décoction de prêle, écorce de chêne, consoude, tisane de valériane, compost de bouse, silice de corne… il y a pléthore de préparations biodynamiques.
Xavière nous a préparé un tableau où elle a récapitulé ses investissements et ses charges de fonctionnement. Ce fut extrêmement intéressant car elle a réellement démarré de zéro. »D’abord, j’ai fait venir Vincent Courtin pour une étude terroir en 2011« . Le géologue a réalisé plusieurs fosses afin de caractériser les sols et les sous-sols. En fonction de cette étude et de l’ensoleillement, Xavière a pu déterminer quels cépages implanter. En 2013 puis en 2014, elle plante 1 hectare de pinot gris, pinot noir et du grolleau. Rustique et très productif, ce dernier a tenu ses promesses: « C’est le Grollot qui me fait bouffer » confirme Xavière. Des rendements qui ont rattrapé des débuts périlleux: « En 4 ans, j’ai eu 3 gels et un mildiou« . Le gel printanier, redoutable ennemi du vigneron, peut ravager les bourgeons de début avril jusqu’aux saints de glace. Echaudée par les gels de ses premiers bourgeons, la vigneronne a investi dans une tour éolienne, qui, en rabattant l’air chaud vers les cultures peut permettre de gagner un degré vital. Une des particularités des vignes de Xavière est sa conduite sur échalas: chaque cep a son piquet de châtaignier: « je ne veux pas couper les apex« . les échalas permettent de conserver la tête pensante des vignes. Ils respectent également davantage le palissage originel de la liane autour des arbres.
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Après la visite de sa cave, elle nous fait déguster sa passion. Nous commençons avec Ma Garance Voyageuse, son grolleau 2019. Elle le commente ainsi: « C’est un vin de soif, mais il est droit comme i« . C’est vrai qu’il est franc et frais son grolleau, naturel comme une bouffe entre potes. Nous passons ensuite à son chouchou: le XH2 (comme Xavière Hardy qui se met en quatre pour cette cuvée!), son pinot noir est à la fois puissant et élégant, comme une lumière de clairière dans un sous-bois.C’est assez épatant de boire de tels vins créés ex-nihilo sur ces terres castelbriantaises, que Xavière a baptisé les terres bleues.
Nous rentrons dans nos étables, enchantés par ces rencontres, par la quête de ces vignerons qui n’arrêtent jamais de chercher la pratique la plus respectueuse et le vin le plus sincère. Ce fut un concentré d’informations qui coule dorénavant dans nos veines et qui font galoper les idées, nous qui avons tout à apprendre mais qui possédons peut-être une clé… après tout, ne parle-t-on pas d’élevage du vin?
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